Visite d'Oxmo Puccino, ambassadeur de l'Unicef, à l'école nationale de Pernier à Pétionville (Haïti).

« Oxmo Puccino, 40 ans, rappeur pendant longtemps, aujourd’hui poétiseur et ambassadeur de l’Unicef. » Voila comment se présente le Parisien le 16 janvier, à Port-au-Prince, devant une assemblée d’adolescents haïtiens. L’artiste a forgé ce néologisme, « poétiseur », contraction de poète et de synthétiseur, pour parler de son métier de conteur, d’écrivain, de chansonnier. Avec le trompettiste Ibrahim Maalouf, il joue à la Philharmonie de Paris, du 5 au 8 février, leur adaptation d’Alice au pays des merveilles, créée en 2011 au Festival d’Ile-de-France.

Trois semaines plus tôt, il est en Haïti pour sa troisième mission sur le terrain avec l’ONG qu’il a rejointe en 2009. Port-au-Prince est alors en ébullition. Il n’y a plus de gouvernement, des manifestants demandent la démission du président Michel Martelly, et l’ONU a fait passer son niveau de sécurité à trois sur une échelle de cinq. Cinq ans après le tremblement de terre qui a coûté la vie à 220 000 personnes, le pays est encore fébrile.

Oxmo Puccino est là, notamment, pour constater les résultats obtenus contre la malnutrition et aider à la scolarisation des enfants. Marié à une Guadeloupéenne, avec qui il est parent d’une petite fille de 6 ans, le rappeur vient souvent dans l’île voisine des Caraïbes. Mais à Haïti, c’est un peu le Mali de ses parents qu’il retrouve : « C’est la même ambiance dans les rues, la même misère, mais ce n’est pas comparable, ce ne sont pas les mêmes raisons, pas les mêmes histoires, confie l’artiste, qui n’a connu le pays où il est né et qu’il a quitté à l’âge d’un an qu’après un premier voyage, à l’aube de ses 30 ans. En Afrique, il y a une triste constance, alors que Haïti est marquée par des dates dramatiques, climatiques, cataclysmiques. C’est comme si chaque tragédie était un nouveau départ à zéro. »

Devenus les domestiques des adultes qui les ont accueillis

Parce que ce vendredi-là est troublé par des manifestations dans Port-au-Prince, une dizaine d’adolescents repérés par quatre ONG se sont déplacés dans les locaux de l’Unicef à Pétionville pour présenter à Oxmo Puccino leur lobbying auprès des parlementaires. Les jeunes, âgés de 13 ans à 19 ans, font du porte-à-porte dans leurs quartiers pour promouvoir les droits des enfants, recueillir leurs doléances… Devant l’artiste, ils énumèrent la longue liste des maltraitances dans leurs établissements scolaires, publics et privés, racontent les copains qui ne vont pas à l’école parce que, orphelins, ils sont devenus les domestiques des adultes qui les ont accueillis. Le rappeur est sonné, assommé : « C’est un long monologue. A la première difficulté énoncée, j’ai compris que leur situation était insoluble. Il va falloir des générations. C’est aussi ce que j’ai appris avec l’Unicef. Il y a des problèmes qu’on ne peut résoudre qu’avec de l’argent ou de la bonne volonté. »

Ces jeunes Haïtiens rappellent à Oxmo Puccino ceux avec lesquels il travaille lors d’ateliers d’écriture, dans les lycées du 19e arrondissement de Paris où il a grandi : « Ce sont des adolescents formés par Internet, par la télévision. Ils ne croient plus en rien, n’ont plus de modèle… » Avec Courte Echelle, l’association de ses deux frères, basketteur professionnel et entrepreneur, il a animé, cette année, un atelier d’écriture au lycée Armand-Carrel sur les relations hommes-femmes : « Quand j’ai lu leur premier texte, j’étais catastrophé. Pour les filles, les hommes étaient tous des salauds. Pour les garçons, les femmes étaient toutes des michetonneuses, qui ne pensent qu’à l’argent. Je leur ai dit : “C’est trop tôt pour être désespérés. Si vous continuez comme ça, vous êtes foutus.” J’essaie de leur faire comprendre que le langage les représente bien plus qu’ils ne le pensent : “Il ne faut pas vous étonner de ne recevoir que de la noirceur quand vous parlez gris. Si vous voulez un peu de lumière, commencez par en mettre dans vos mots.” »

« Ecoutez, essayez de comprendre »

L’auteur de L’Enfant seul, L’amour est mort ou de 365 Jours – textes qu’il déclame sur scène aujourd’hui en trio acoustique – dit « avoir été sauvé » par ses rencontres, l’éducation de ses parents, son père serrurier et sa mère auxiliaire de vie… Et par cette expression, le rap, qu’il pratique depuis plus de vingt ans et qui lui a fait découvrir la littérature de Chester Himes, de Donald Goines. « On ne fait pas assez attention au rap qu’écoutent les jeunes, déplore l’artiste. Il n’y a pas meilleur indicateur. Si vous vous plaignez du rap qu’écoutent vos ados, discutez avec eux : pourquoi l’aiment-ils alors que, vous, il vous dérange ? Essayez de comprendre ce qui se passe dans leur tête, c’est vital. »

Dans le 4 x 4 qui l’emmène d’un camp de déplacés à une des écoles reconstruites par l’Unicef, la radio crache les dernières infos sur les attentats français de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Oxmo Puccino n’a pas voulu réagir publiquement à ces événements : « Il faut davantage penser dans ces moments-là que parler. Je me méfie des réactions sous le coup de l’émotion. Ça demande du recul. Ranger sa part de chagrin, mettre son ego de côté, oublier ses propres malheurs. Se poser la question de “Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?”. Cultiver sa lumière, coûte que coûte. L’enjeu n’est même plus de rendre le monde meilleur, mais qu’il devienne moins pire. »

Oxmo Puccino s’intéresse désormais à d’autres formes d’écriture : les longs-métrages, le théâtre, les romans, les nouvelles, les séries télé. « Ecrire une chanson, je le fais en dix minutes, aujourd’hui », prétend-il. A Port-au-Prince, il en fait la démonstration après voir fait la connaissance d’Elvire Durozeau, la soixantaine joyeuse, qui raconte comment elle a accueilli sept enfants en plus des trois qu’elle a eus avec son mari médecin. Directrice d’un orphelinat à 22 ans, elle l’a quitté pour prendre en charge des prématurés, des filles-mères et leurs bébés. Dans la foulée de leur rencontre, Oxmo Puccino écrit : « Mme Durozeau n’aime pas l’orphelinat, bien que les enfants y coupent leur faim par portion de grumeaux avec un peu de sauce, des bananes et des œufs, trois fois par semaine. Les enfants mangent mais ne sont pas nourris, alors Madame Durozeau est partie : “Des bébés ne doivent pas être affamés d’amour sinon ils ne sourient plus.” »

Le rappeur se dit moins décontenancé par les enfants que par les adolescents, dont la désespérance l’attriste. Un désenchantement qui ne guette pas, cependant, la centaine de chanceux, âgés de 9 à 19 ans, et de toutes origines sociales, qui l’entoureront à la Philharmonie. La moitié d’entre eux chante dans les chœurs de la Maîtrise de Radio France, l’autre joue dans l’orchestre des jeunes du Conservatoire de Paris, menés par la baguette magique d’Ibrahim Maalouf.

En concert (avec Ibrahim Maalouf) du 5 au 8 février, à 20 heures, à la Philharmonie de Paris, 211, avenue Jean Jaurès, Paris 19e. Le 30 mai au Zénith de Paris.

 

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/musiques/article/2015/02/05/oxmo-puccino-profession-poetiseur_4570763_1654986.html#vbyWk1RYp8htVMgB.99
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