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Pour celle de Niary Taly Khady Thiam, l’étoile filante dans ma vie

Le Secret du Grand Secret

 

Que la Lumière soit, Kun fa yakun !

« Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu’il n’apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d’esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l’eau le sucre. Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger.

O lecteur, comprends-tu l’importance de cet acte et l’importance non moindre de ton appétit légitime, lentement et majestueusement..  quand les rouges émanations..», tel le soufre rouge..

Phénix ! Phénix ! Phénix !

Tout commence par Phénix, finit par Phénix !

Wone kono m’badha kono mbattata,

Mais personne n’était là pour voir cela,

On le raconte seulement, voilà !

Ainsi,

Le Phénix déploie ses ailes de feu pour sceller l’engloutissement de Bandankoro, une Parcelle du Monde lointaine, vraiment lointaine, disparue depuis sa mise en abîme dans l’Athanor Primordial.

(…)

Midi, terrible roi des étés, s’abat sur cette part célestielle du monde, telle la masse incandescente sur l’enclume géante de la première Création par Amma,

Notre Père à tous.

On le raconte seulement, personne n’était là !

(…)

1ère Clairière

Qui a enlevé les parties du Hogon ?

Voici un midi comme tous les midis, un peu plus chaud que les nuits et les aubes - juste ce qu’il faut pour rôtir les rares grillons et les insectes qui s’égarent à la recherche des pustules que trainent les habitants de Bandankoro qui se font appeler Nomos. Mais à Bandankoro, rien ne distingue les racines de rôniers des squelettes d’ajoncs, de daturas ou de bayahondes, esquisses de cactées, carcasses blêmes qui s’envolent, légères, aux caresses du vent.

La charogne hominoïde de Bandankoro a vaincu elle, le soleil - on sait qu’Amma, le Grand Potier du Monde, avait oublié dans le cratère de la forge céleste, l’ancêtre d’une race d’une Parcelle du Monde, celle qui sortit de la fournaise de la création un peu plus sombre que les autres, mais immunisée contre l’enfer qui règne sur elle depuis la chute du Grenier Céleste. Ainsi, midi est l’heure favorite où les Nomos gluent de leurs niches, pour piéger quelques insectes étourdis par la canicule. La charogne sur pieds avait pourtant humé dans l’air une autre charogne, son ennemie de tous les temps, nuages de crânes pelés, trainant leur masque de mort, horde de vautours en quête d’une horde encore plus cadavre.

Voici dans le ciel une laie qui mène à une futaie de survivances, sombres hères sur lesquels va s’abattre ce bourdonnement furioso. Les battements de leurs ailes sont de véritables ricanements qui vrillent les bancs compacts de l’armée de vautours, flattés par le fumet qu’exhale la charogne vautrée quelque part dans cette parcelle du monde où s’annonce une ripaille.

Djâti !

La charogne, celle du haut, soulève une nuée de rumeurs menaçantes. La manœuvre est aussitôt suivie d’une ressource lâche, juste le temps d’ouvrir les vannes du temps, qui s’y engouffre pour inscrire de ses griffes, son travail de fossoyeur.

Des flancs de Bandang-du-Haut et de Bandang-du-Bas, criblés de niches qui dominent une moère morte, les Nomos, hantés par un essaim de mouches, rampent jusque sous le pied bancroche du vieux baobab que cette horde de primates appelle, inspirée par le deuil des Origines, Le Père des Pères. Ce Premier des Ancêtres partis, n’est plus qu’une masse chancreuse que soutient miraculeusement un tronc écuissé. Mais la charogne humanoïde de Bandankoro n’avait élu le Père des Pères que par nécessité, car, déboulant les versants de Bandang-du-Haut et de Bandang-du-Bas, elle ne peut que se ratatiner sous son chef écrêté.

Pourquoi ce midi, un tel rallye de loques barbotant entre l’eau et l’argile ? La sanie attire la sanie. La charogne a attiré la charogne. Inutile de chercher laquelle a pris l’autre en chasse.

Depuis la chute de cette parcelle du bout du monde, celle du haut utilise la même technique de battue : cerner le gibier en cercles concentriques de plus en plus serrés.

Donc les charognards, trouvant louche cette sortie massive et risquée de leurs congénères du bas, s’alignent en une longue flèche. Puis, elle imite en la camouflant, une tactique bien connue dont usa et abusa la peuplade d’une autre parcelle du monde, agressive, dominatrice, sûre d’elle-même et réputée pour avoir étrillé d’autres parcelles du monde jusqu’à leur dernière plume.

Donc, les vautours ont repéré un amas de loques beaucoup plus purulentes que les autres qui essaie de sauver ses pustules et ses croutes, en se rassemblant sous le vocable de Hogon, chef ou plus ancien. Ancien oui, et même pourri. Mais chef de quoi, de qui ? En tout cas pas de ses congénères du ciel qui l’ont reniflé. En effet, rompant ses cercles, la gent ailée s’aligne en une flèche acérée qui pique un plongeon vertical, et extirpe de la horde rampante, de quoi s’offrir La Grande Bouffe de l’Universel planté au cœur de notre village.

..C’était jadis, il y a longtemps, vraiment longtemps..

Une fois commis leur forfait, les charognards se rabattent de l’autre côté du Mont Chacal où ils ont l’habitude d’établir leur campement et de jeter en vrac leur butin : carcasses de toutes espèces, rogatons quasi-momifiés glanés dans les cimetières qu’ils profanent -les Nomos auraient-ils des semblables ? - Ou alors comme il leur arrive parfois, ils s’offrent de la vraie charogne, levée au terme d’une attaque en règle, comme ils viennent de le faire au pied du Père des Pères.

Les vautours, après ces grandes ripailles, sombrent dans une profonde somnolence. Ces hold-up sont parfois suivis par un grand sommeil qui se prolonge jusqu’à l’aube, quand la chasse a été bonne. Le flanc Est du Mont Chacal devient alors un théâtre d’ombres, de momies étalées comme discrètement entravées par les fumeroles qu’actionne là-haut dans Son Abègne, Amma, notre père à tous.

En vérité, la chasse n’a pas été bonne. Pire, la rumination des vautours est perturbée par une mise en abîme de leurs propres ronflements étrangement amplifiés par des rugissements qui montent de la base du flanc Est, moutonnent en vagues verticales qui se brisent sur le minaret d’où s’élèvent les fumerolles identifées en langue secrète des ilotes, comme râles du Chacal. Etrange musique, caducée sonore, oratorio qui semble sourdre des entrailles mêmes du Chacal.

L’oratorio ne tarde pas à se répandre en flots soulevant les rapaces, qui d’ailleurs ne dorment que d’un seul œil. Ils ne peuvent certes pas voir les centaines de toupies qui brassent l’air en démultipliant dans l’infini de l’écho, les vrombissements des rhombes que manient les bras experts d’une smala d’enfants nomos qui viennent à l’assaut. Mais les vautours ne vont quand même pas se perdre à leur tour dans le mythe du Chacal ou du Nomo7ème, notre Ancêtre à tous ! Tout de même, ces ronflements viennent d’ailleurs. Ils ne rêvent pas.. A moins de croire à des tumuli qui marchent !

En effet, une dizaine de mottes de terre tourbeuse fardées de kaolin, comme soulevées par les volutes de plus en plus assourdissantes, montent à l’assaut du flanc Ouest du Mont Chacal qui, comme réveillé par une éruption à rebours, semble ravaler les entrailles calcinées qu’il avait vomies l’atroce nuit où le Grand Trou aurait mis bas le Chacal.

Naturellement, les rapaces ne se laissent pas prendre à ce jeu d’enfants.

Depuis longtemps, vraiment longtemps, ils survolent et profanent des milliers de Parcelles du Monde, de campement en campement, atterrissent sur des champs de bataille fleuris de festons sanglants, jamais, non, jamais ils n’ont été sommés de si près de « rendre gorge » ! Never ils ne l’avaient été après un hold-up, comme disent leurs congénères du bas dans leur langue secrète..Comment donc, ces enfants de charogne osent-ils !

La plupart des vautours sont déjà dans le ciel. Les vrombissements entrelardés des froufrous des quelques rapaces qui ont le sommeil plus lourd, disparaissent entre les pitons du Mont Chacal, alors que les roulements s’effilent en sifflements, les rapaces traînards s’amusent à voler bas, faisant des slaloms entre les fléchettes des enfants. Mais ils reprennent vite de l’altitude, survolant là-bas, les lieux de leur crime, peut-être pour s’assurer qu’il n’y a pas trace de leur forfait.

(…)

2ème Clairière

Je suis Celui Qui Est !

Kam se sépare de ses camarades dès qu’ils arrivent au bas du Mont Chacal. Au lieu de suivre la base du piton dans le sens le sens Ouest, il attaque de front le flanc Est et s’enfonce dans les anfractuosités les plus tourmentées du Mont Chacal. Nul n’avait encore osé affronter ce côté-là de l’antre du Chacal, moins à cause du tabou réputé interdire son accès, qu’en raison des dangers physiques qui dissuadent quiconque, de l’audace d’une escalade. En effet, la pente raide est rompue en escarpements, gorges, cols invisibles et inattendus, qui font du flanc Est un vaste et profond piège de tombeaux ouverts.

Kam, qui n’a ni corde ni clous, ni aucun autre accessoire d’ascension, fouit, telle une taupe, les grimaces schisteuses et crayeuses, pouce après pouce, jusqu’à ce qu’il soit aux abords du cratère éteint. Là, plongeant le regard dans le puits sans fond de la gorge inférieure du piton, il découvre un entortillement de lacets poudreux qui ressortent par le pinacle du Mont Chacal au-dessus de sa tête. Il songe d’abord que le Chacal ne dort pas tout à fait et que ces fumeroles âcres sont des postillons, soumis qu’il est à des ruminations sans fin. Mais il ne faut pas s’attarder sur les lieux.

Où est donc passé le rapace qui a levé les parties du Hogon ? Car celui-là, Kam l’a bien vu. L’assassin n’est pas allé avec les autres et n’a pas pu gagner comme eux le flanc Ouest. Kam en a la certitude ; il l’avait frappé au fuseau et les pierres dont il arme sa fronde sont suffisamment solides pour briser la gueule du Chacal lui-même. Si le rapace reste introuvable, ce serait une catastrophe sans précédent pour les Nomos. Surtout, Kam sait, et c’est Fatoké l’Enchanteur qui le lui a dit, que sans les parties du Hogon, des malheurs pires que ceux que subissent déjà les Nomos s’abattront sur Bandankoro.

Kam baisse à nouveau le regard sur l’abîme mais n’y voit que d’obscures diaprures, présage d’un mauvais souffle qui ne tardera peut-être pas à surgir des entrailles du Chacal. Pris d’une espèce de vertige suicidaire, il laisse glisser son corps le long du minaret, jusqu’à un ombilic au rebord duquel il s’agrippe. Lorsqu’il est sûr de son équilibre, il libère un bras, s’abandonnant dans une obscurité totale. Il attend, les jambes écartées sur le diamètre de l’ombilic, de s’habituer à la nuit du gouffre. Il finit par discerner les contours et les aspérités de ce qui est caché aux Nomos. Les pentes intérieures du Mont Chacal ne sont pas différentes de ce qu’elles offrent à l’extérieur.

Kam entame alors sa descente qui se révèle être encore plus dangereuse qu’il ne l’avait craint ; les roches et les points d’appui sont pour la plupart des éboulis de pouzzolane, de tuf et de verrues calcaires qui s’écrasent sous ses pieds, soulevant des nuages de poussière. A chaque mouvement, il est hanté par l’idée d’être précipité dans le gouffre, emporté par des cataractes de congères foudroyées, tant est glaciale la peur qui l’habite dans cette descente aux enfers. A mi-chemin du sommet et de la base de la crypte sauvage, il confie son âme surgelée au Nomo 7ème et se laisse tomber pour en finir.

« Où suis-je », se murmure-t-il comme une prière, lorsqu’il lui semble que tout est fini, car il se retrouve tout allongé, apparemment entier, face à une clarté lugubre ; car ce ne peut tout de même pas être celle du jour.

Il a beau écarquiller les yeux, il ne rêve pas. Il est là, tout nimbé d’une lumière cuivrée venant d’une gigantesque boule de feu qui illumine toute la crypte. N’est-il pas dans le royaume du Nomo 7ème ? Ou alors serait-ce l’œil du Chacal qui le scrute ainsi, avant de lui boire le sang, comme il doit le faire avec les vierges qu’on lui immole après chacun de ses vomissements de feu ?

Je suis Kaminou, fils d’Ogotemméli et de Koumba. Je suis le descendant dernier du Nomo 7ème du côté de ma mère qui descend du bras 3e du Maître de la parole…

Mais l’œil du Chacal semble fa’nine, s’affadir, se ternir, à moins que ce ne soit une de ses éclipses soudaines, imitation du clignotement des yeux vairons du Nomo 7ème,, dont Il ne montre d’ailleurs qu’un à la fois, pour mieux égarer ceux qu’Il a appelés mais pas élus.

.« C’est peut-être le terrible Crépuscule des Temps anciens que chantait un koraliste de la peuplade d’une petite parcelle du monde qui préféra l’engloutissement aux berceuses mortifères de ..

Kanaan réussit à s’arracher au murmure océan de la Conque VishnuVénus de sa mère Koumba.

Voilà, l’œil s’enfonce imperceptiblement dans la muraille Est de la caverne. Kam essaie plusieurs litanies qui restent sans écho, cependant que la montagne semble se refermer sur elle-même dans une nuit totale. Il se dirige alors vers l’œil, titubant dans les entrailles poussiéreuses, jusqu’à ce qu’il trébuche sur quelque chose de mou. Il tâte des doigts du pied ce qu’il n’ose encore croire être un corps. N’est-ce pas le Chacal, fausse divinité frappée de mort subite ?

De violents frissons commencent à tamiser le sang de Kam. Ainsi donc, le Chacal l’attendait, tapis là ? Mais pourquoi ne crache-t-il pas des flammes dont les Anciens disent que sa respiration est faite ? Il frôle encore de ses orteils le corps tiède qui gît là. Il a soudain la certitude qu’il a à faire à un corps couvert de plumes.

Kam est en présence du vautour qui a levé les parties du Hogon !

Comment n’y a-t-il pas pensé plus tôt ! Oubliant sa peur, il se baisse dans l’obscurité, se saisit des serres du rapace et fonce droit, à l’horizon de l’œil qui s’enfonce de plus en plus loin du flanc Est du Mont Chacal.

.. Béni sois-tu, Je suis Celui Qui Est..

(..)

Kam ne sait comment il se retrouve en rase campagne, talonnant le soleil déclinant qu’il avait pris plus tôt pour l’œil du Nomo 7ème ou du Chacal.

« Mais cette voix.. Je suis Celui Qui Est.. »

Cette « Voix » d’outre-tombe fait place à des rumeurs qu’il reconnaît vite, ce qui allège la boule nouée au creux de son estomac ; le rythme de sa marche s’accélère et devient plus allègre. Sous le voile de la nuit qui tombe, se dessinent des ombres qui tressautent sous des ricanements. Les fantômes deviennent des figures familières qu’il peut déjà identifier. Au pied du Père des Pères, les enfants nomos se sont rassemblés. Ils offrent des mines plutôt graves, qui contrastent avec le tumulte gai que Kam avait perçu quelques instants auparavant. Ils ont allumé des feux de camp avec des morceaux d’écorce morts, des carcasses dont les fumerons agonisent en dégageant une senteur de morgue. Ils viennent manifestement de faire une de ces dînettes faites de chenilles, de tiques et d’asticots grillés ou avalés crus. Ils sont là à se curer les dents et à nettoyer les traces de leur bombance, pour être à l’abri des mauvaises pensées des morts-vivants qui gisent dans les niches, et dont le regard envieux est capable à lui seul de damner une âme.

  • Il est parmi nous, le tire-au-cul aux plumes de vautour, lance Pouli.

Parangon de l’enfant nomo, Pouli est un albinos au cou strumeux et au ventre flatueux, pelé par le béribéri, dont il gratouille les squames flavescentes qu’il jette ensuite comme à regret, dans les flammes.

Les enfants nomos n’ont pas encore, à l’instar des Anciens, découvert le secret du grand secret. Ils portent avec indifférence les stigmates de la pandémie naissante du mal de nomo ; pellagre, scorbut, rachitisme, béribéri, et autres tracasseries du sang d’encre qui hantent cette Parcelle du bout du Monde.

Les gamins s’agitent à la vue de Kam. Ils se ressemblent tous, ces rogatons d’amuse-gueule du Chacal.

Il y a donc Pouli, Pou de Bois, Kassoumé, sourd-muet, Gueule Tapée et d’autres maladresses du Grand Potier du Monde. Eux seuls arrivent à mettre des noms sur ces rejets de la mort. Le nez camard, n’est pas une caractéristique raciale, ni la peau, couleur de saumure. Ces attributs participent de la grande bouffe où s’invitent les mouches, la lèpre, la fièvre bubonique, sans compter le travail des mites de bois dans cette Parcelle du Monde. Cette peuplade, à défaut de bois ou de toute essence, n’a pas trouvé meilleurs camouflages aux descentes des envahisseurs du ciel, que ces légendes de Cumbite, - don ou échanges gratuits de sang de vierge ; séniles, cannibales et vaines parades aux hurlements du Chacal.

Chaque enfant nomo est une noria miraculée de détresse, charriant les promesses fœtales de la vie ; bourgeons et calices purulents de phlegmons animés du commun désir de relever le défi de ce grand spectacle plein de bruit et de fureur. Vivantes corolles, infinie variété d’oripeaux dont se pare la vie, cela dépend seulement de la scène, de l’aire de la rose des vents où elle veut bien se donner en spectacle. En cela, les enfants nomos ressemblent à tous les enfants du Système du Monde. Mais à Bandankoro, on ne s’illusionne pas sur une prétendue existence d’autres parcelles du monde. Ici, la rose des vents est un point fixe en bascule sur le cratère béant de la gueule du Chacal. Silicon Valley en surplomb sur le Triangle des Bermudes, dit-on dans une autre parcelle du monde ou comme le murmure ici-même, une Conque de VishnuVénus, mais on le raconte seulement..

  • Le lion aux griffes de vautour marche toujours seul dans le désert, lance un sagouin qui n’est pas plus haut qu’un pou de bois.

Ils sont joyeux.

Kam s’assoit après avoir déposé son fardeau. A la vue de ce qu’ils croient être un butin, les enfants font cercle autour de lui et se mettent à danser.

Tchi ya ya

Tchi ya ya

Namsa bandit

Nâ kan bora

Ni ma content

Ki kili tchi

Ni ma content

Ki kili tchi pra !

  • Incroyables galipettes de moignons, gestus simiesque de gôkis dépigmentés, avec couper décaler sur des cous strumeux ! Mobilité réduite ? Pas du tout !
  • Viens donc danser avec nous, Kam ! lance un faux unijambiste, puisque même manchot, il peut rapper en se tenant sur une face de pseudo-trisomique.

Les rhombes vrombissent et les figures de danse dégénèrent en transes inquiétantes sous le regard vide de Kam. L’hystérie collective devient un ndop, n zar éthiopien, du vodoun, une danse de possession ; mais les jeunes possédés sont bientôt gagnés par la lassitude, cependant que l’essaim de gamins se resserre autour du vautour qu’ils tripatouillent. Kam, qui n’a plus de doutes sur les intentions de ses petits camarades, se lève d’un bond et fend le cercle.

  • Nous allons rendre les parties du Hogon, menace-t-il en se plantant au-dessus du vautour et, sur un ton presque implorant, il ajoute, « les Anciens et tous les Nomos ont besoin du mana du Hogon.. »
  • Qui se trouve dans une conque de VishnuVénus ! Hi hi ! ha, ha ! s’éclate Pou de Bois.

Les enfants sont soulevés par leurs ricanements.

  • Kam veut qu’on ramène aux Anciens les miches du Hogon ! lance Pouli l’albinos.
  • C’est vrai, les Anciens n’ont plus de balloches, alors que ce qui leur reste ne leur sert plus à rien, renchérit Pou de Bois qui bouscule Kam.

Les autres viennent à l’aide de Pou de Bois et se ruent sur Kam. Le vautour disparaît. Pouli s’est fait préposé aux feux. Il a déjà rassemblé des criblures d’os pour rallumer le foyer. Les autres, conduits par Pou de Bois, le petit tracassé de la taille basse, étrillent le vautour, tout en faisant mine de chercher quelque chose ; ils farfouillent le rapace dans les moindres plis de ses organes qu’ils finissent par brouiller dans un pripra cru et sanglant.

  • Non, les kotès du Hogon sont introuvables, dit Pou de Bois faussement désolé.

Le petit tripier, qui n’est pas plus haut que le bonnet qu’il vient d’évider, tend la peau flasque qui passe de main en main, jusqu’à Kam, qui se détourne.

Kam est le plus solide de la classe d’âge. Il lui suffit de brandir le poing pour disperser les gamins et réduire à néant leurs prétentions. Mais il n’en fait rien et va pluôt s’asseoir sur une racine morte et les laisse faire. Un doux fumet commence à embaumer l’air. Les enfants s’accroupissent autour du foyer, silencieux. Mais un incident tragi-comique met fin à l’attente. Pouli, le cuistot improvisé, a tant salivé en tournant et retournant le rôti, qu’il ne trouve pas d’autre moyen de se soulager d’un prurit interne et de la tension fébrile qui l’agitent, que de relâcher ses sphincters et sa vessie, dont le contenu se répand en jets écumants et pisseux sur les flammes qui chavirent. Le rôti, tout jutant de son assaisonnement, est tiré de la broche. Le rituel éclate en Bamboula. Kam boude le gésier qu’on lui tend, sans ironie cette fois. Il se lève. Un autre garçon, sans âge, qui semble bouder le festin, se lève.

Brusquement, il s’élève très haut dans les airs, tournoie en trois spires, puis, atterrit sur la tête en faisant un époustouflant couper-mouler ; par cette prodigieuse accrobatie de nyamakala, le gamin met en branle-bas les bambochards et leurs parts du vautour, avant de se remettre sur ses petits pieds.

  • Je viens avec toi Kam, et vous, tas de junkies, vous êtes indignes de la callera! »

Ils font quelques pas et Kam, tout à fait sérieux, demande à son jeune comapagnon, « dis-moi Kannan, tu as trouvé un autre bissac on dirait, mais c’est quoi la.. »

  • La racaille.

(…)

 

3ème Clairière

Mais comment donc démêler langue secrète et langue sacrée ?

che voy molière ?

instruire en riant

piètre morale

castigat ridendo mores

 

sans foi ni morale

ti yaya ti yaya

namssa bandit

na kan bora

 

ni ma content

ki kili tchi

ni ma content

kili ti pra

 

pantomime de lâtres

poudrés en mulâtres

kiyôko

mâbo ko

 

le peigne pour la navette

et vice versa 

sans doute,

le duce est mort

 

vive le duce 

vive le président

à bas le président

phrasé d’une même bouchée

(…)

4ème Clairière

La reproduction gémellaire du Triangle de l’Androgyne

Comment ?

Connaisseur connaît !

Les Anciens décident la résurrection du Hogon enlevé par les vautours. Ainsi, les Maîtres de la langue secrète transmise par la science Al Kémia, choisissent Kamina et Kam, les jumeaux de la nichée des Koumen. Kam et Kamina, les jeunes jumeaux d’Ogotemmêli et Koumba de Bandang-du-Haut, sont les heureux élus. Le petit Kanaan, enfant tombé des cieux des dieux d’eau, deviendra le sommet de ce Triangle de l’Androgyne qui sera fabriqué par Boiro.

Comment ?

Secret ! Secret !

Donc, depuis l’enlèvement du Hogon par les vautours, le ciel de Bandankoro n’est plus tout à fait le même. Il s’est obscurci d’un voile léger,

wone kono mbadha

kono mbattata

Non pas certes que la pureté cristalline de la canicule irradiant dès l’aube soit tachée d’un quelconque nuage pour insinuer quelque velléité de pluie.

Mais, derrière le murmure grésillant, persistance nostalgique de la grande musique des Origines devenue imperceptible aux Nomos, s’est glissée en contrepoint, y creusant un effet de comma, une rumeur opiniâtre et indéfinie, qui d’ailleurs se confond avec le bourdonnement des mouches qui agacinent les Nomos depuis la grande pétrification de la mémoire.

Donc, un nouveau spectre plane sur les cagnas incrustées sur les versants inférieurs du Mont Chacal. C’est une espèce de fièvre qui exacerbe l’étuve de cette parcelle du bout du monde. Naturellement, le Hogon et sa mésaventure sont au cœur de cette ébullition ; des murmures terrifiés passent de bouche à oreille, traînant sur les trognes livides des Nomos, une épouvante faite de vénération muette. Les Anciens s’étaient retrouvés plusieurs fois en Conseil, et l’on parle d’une nouvelle assemblée où tous les Nomos sont conviés.

L’on murmure aussi avec gravité, le bonheur qui frappe à la porte de l’une des niches de Bandang-du-Haut, où habitent Kam, Ogotemmêli son père, Koumba sa mère, et Kamina sa sœur jumelle. Mais la famille élue par le muntu du Hogon - et donc par Le Nomo 7e Lui-même, n’est pas tout à fait heureuse de ce bonheur venant d’outre-tombe. Surtout que chaque couvée de Nomos a déjà en charge l’esprit de ses propres lares. Et l’on ne nourrit pas les dieux avec des hannetons, des tiques ou des asticots. Le défunt Hogon, en élisant la niche d’Ogotemmêli, a de ce fait élu Kam et Kamina, « ces braves enfants nomos », comme on les appelle à Bandankoro, qui font l’admiration de tous, tant ils mettent de la force, du courage, de l’acharnement et de l’ingéniosité à trouver la pâtée ordinaire pour toute la nichée.

Ogotemmêli et Koumba ne sortent de leur alvéole que lorsque Kam et Kamina les portent à bout de bras pour les exposer au soleil. Et voilà Kam et Kamina devant charger sur leurs frêles épaules, toute la majesté du Hogon levé par les vautours. On sait déjà que Kamina est la dernière vierge promise au Nomo 7e. Mais Kam, depuis la randonnée des jeunes au Mont Chacal, ne s’étonne plus de voir l’attroupement de Nomos - qui tiennent d’une façon ou d’une autre sur leurs moignons - au bas de leur niche et qui lui lancent des regards pleins d’envie et d’admiration respectueuse, regards qui toutefois, laissent pointer comme une ombre de malheur. Ou alors tout le monde ne sait pas tout encore. Les profanes qui triturent la parole des Anciens, n’en saisissent souvent que la gangue jetée en pâture aux non-initiés.

Ils ne manquent aucune occasion de voir les élus.

Ils sont toujours là, ramassis de chairs bouffies, à regarder Kam et Kamina sortir tous les matins leurs parents grabataires, pour leur bain de soleil quotidien. Les élus et leurs parents feignent de ne plus faire attention à ces visiteurs. Ogotemmêli, scrutant les visages qu’il ne peut pas voir, fait mine de chercher quelqu’un.

- Kaminou, je n’ai pas vu le petit Calao ce matin.

C’est ainsi qu’il appelle le petit Kanaan qui vient souvent aider Kam et Kamina à sortir Ogotemmêli et Koumba, puis tous les trois s’en vont à la chasse. Kanaan est l’un des rares Nomos avec qui Ogotemmêli échange des propos suivis, qui prennent souvent le tour de longues discussions. A Ces rencontres qui commencent toujours par,

ko mbaloudha niamoudè ?

kirimbon !

Ko nialludha niamoudè ?

Kirimbo !

 

O toi hyène,

après la dernière chienne,

qu’as-tu mangé ?

allant belle erre,

 

les restes de ta mère,

trifouillés de sous terre ! 

en as-tu laissé aux vautours,

rien aux fourmis magnans ?

Le petit Kanaan ne se contente pas de boire les évocations de noms de choses et d’êtres ou même les merveilles du Pays de la Grande Eau, dont il a fini par connaître le moindre empan. Sceptique, il n’hésite pas à demander au vieillard qui est aveugle, de lui comparer telle chose de ce pays des merveilles, à telle autre de Bandankoro, pourquoi Ogotemmêli lui parle de choses qu’il n’a pas pu voir. Ogotemmêli qui a depuis longtemps déserté les Conseils des Anciens, non pas qu’il soit plus cadavéré que ses pairs, ni même à cause de sa cécité, mais comme il le dit un jour à Kanaan, parce que « le corps pourri ne délivre que des paroles pourries ».

- Kaminou, pourquoi le petit Calao ne m’a pas visité ce matin ? lance Ogotemmêli.

- S’il ne vient pas ce matin, il viendra demain, dit la vieille Koumba, qui a l’air plus solide que son mari.

Koumba ne reste étendue auprès d’Ogotemmêli que quelques instants, juste le temps de se sentir encore vivante, et par on ne sait quel miracle, quelle force, peut-être celle de la nostalgie dont elle perçoit l’appel nacré à travers les cannelures de sa conque VihnuVénus qu’elle plaque à son oreille. Légère comme une glycine, elle se lève alors et glane dans les fondrières desséchées qu’elle pèle, bêchant avec ses doigts hersés dans les petits mamelons calcaires ensevelis sous la latérite. Elle fait ainsi des tours et des va-et-vient interminables, suivant la ligne imaginaire de la tapade d’épineux, de ronces et de pourguères qui jadis, il y a longtemps, vraiment longtemps, protégeait, elle le raconte seulement, le petit potager de calebassiers, de courges, de gombos baignés dans la frondaison d’un jujubier et d’autres arbres fruitiers. Mais il n’y a plus trace de ce fourmillement juteux à ce point vernal qu’elle entend, l’oreille collée à sa conque. 

Quels mauvais vents ont donc soufflé sur cette maudite terre de Bandankoro ? En vérité, les raquettes rebelles de sisal balisant les mirages flamboyants des sahels désolés de certaines parcelles du monde seraient un paradis verdoyant, à côté de ce royaume du Chacal.

Koumba marmonne des airs nostalgiques comme aux temps joyeux des travaux solidaires, ces cumbites de moissons qui agitaient tout Bandankoro, du moins, c’est ce dont on se berce à présent, lors des veillées au clair de lune, en compagnie des mouches.

- Koumba, tu as trouvé un mulot ou peut-être même, voyons, un agouti, un ratoto, c’est cela, un ratoto, boff, un pou de bois, raille Ogotemmêli. Mais Koumba répond sans ironie : « Je ne peux pas trouver de pou de bois quand il n’y a pas de bois. »

- Dans ce cas qu’as-tu à chanter des airs de cumbite !

- C’est parce que je chante des airs de cumbite que les enfants ramènent toujours quelque chose.

- Les enfants n’ont pas besoin de tes chansons tristes ! Viens donc me masser les côtes.

Koumba rit alors à gorge déployée, ce qui déclenche une toux hectique dont les quintes déjettent sa petite silhouette qui finit par vaciller comme une feuille morte.

Una folia seca du roi Pelé qui trône sur le sommet éponyme du volcan où des dieux se font une guerre, sans une goutte de sang..

« Qu’est-ce que je raconte là, se murmure Koumba.. » De quelle Parcelle du Monde lui viennent ces délires silencieux ? Elle s’étend doucement aux côtés de son mari, la conque de VishnuVénus collée à l’oreille. Ils n’échangeront plus aucun mot jusqu’au retour des enfants, à la tombée de la nuit ou au petit matin.

(…)

 

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