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27ème Clairière

La reconstruction de l’Arche Primordiale

Les trois survivants de la Vallée des Bienheureux, après s’être restaurés, prennent aussitôt le chemin de Bandankoro. La marche est silencieuse. La petite Eléli dort sur les épaules de l’Enchanteur. Kanaan est loin devant, brassant les pensées folles de l’Enchanteur qui s’embrouillent dans sa tête. Il se débat comme une caille dans les ronces touffues d’une jonchaie. Des pans entiers de rêves et de certitudes s’effilochent sous la corrosion sournoise du doute.

Il trottine d’un pas mal assuré devant ses compagnons, déjeté par une impatience qui le presse intimement de mettre au plus vite de l’ordre dans le chaos bourdonnant de sa tête. Hogon, Guide suprême, Nomo 7e, Amma, Mont Chacal, Arche primordiale, Origine des origines, Secret du Grand Secret se livrent à une concoction alchimique dans les siphons de sa mémoire. Il trimarde dans la légende glutineuse de cette parcelle du bout du monde qui n’est en vérité qu’un vaste cloaque dont les limites se perdent de l’autre côté de la Vallée des Bienheureux où se vautrait une chaine de reclus perpétuels. Ah, ces contes et comptines qu’il a tant avalés lors des veillées sous l’arbre à palabre ! Vaines ou illusoires cognées contre les jambages de feu d’une muraille qui selon l’Enchanteur, interdit l’accès du Pays de la Grande Eau !

Et les Nomos, cette déchetterie de chiourmes, après avoir fricassé et mangé en même temps que leurs phlegmons les alganons qui les entravaient, avaient depuis longtemps renvoyé dans les mystères des origines, le souvenir du franchissement de ce rempart flamboyant. Kanaan sait à présent que les Nomos - combien étaient-ils alors, Kam et Kamina en faisaient-ils partie ? -, avaient dû se faire harponner dans une nasse de vertes mercuriales et d’oraisons funèbres, filées par le Guide Suprême. Cela, il l’avait compris au travers des folles litotes et des prétéritions savamment alambiquées des Anciens, et surtout d’Ogo, qui murmurait,

Ecoute Koumba, c’est trop compliqué pour le petit, il est intelligent mais..  « - Qu’est-ce que tu fais vieille école, rétorquait cette dernière.. Et puis, il peut toujours passer à une autre symphonie, la 9ème ou 5è, celle de ce gamin de son âge, tiens !

Kanaan avait toujours la conque VénushnuVénus collée à l’oreille où étaient puisées les paraboles et la phraséologie des Anciens, attestant le naufrage de leur mémoire. Prosopopée prétendument sacrée, jaculée par ces bonimenteurs.

Paix sur leur muntu !

Ce n’étaient donc, selon Le Guide Suprême, que d’imbéciles esprits séditieux aux cerveaux préalablement lavés, poncés, mithridatisés par le foudroiement d’une noix vomique ou d’une lavure de mandragore, jetés dans ce vaste enclos au bout du Monde. Ces Anciens ne faisaient que remâcher de prétendus crachats d’un Mont Chacal, en vérité, chapelets d’imagos ou d’archétypes suintés de leurs méninges nécrosées. Et la charogne nomo s’anéantissait sur les remparts de mythes frelatés, s’échinant à réinventer un Système du Monde ! Perpétuel retour vers un futur rendu improbable par les vols de la charogne ailée, dont elle est en vérité l’âme damnée. Crachats ou griffures, velléités fantasques, en réalité condamnées, surveillées et punies, libres comme des mots et des choses, volant au-dessous des niches de cocus.

.. Il y a longtemps, vraiment longtemps..

Larves spectrales vouées à la géhenne et aux tourments du désert luxuriant des damnés du Système du Monde, qui ne veut plus de ces corps sans organes, ces zombis sans qualités !

L’Enchanteur qui pense à tout, a allumé un brandon qui crépite, nourri probablement du fiel d’un de ses délires surjoués, flammèche bien nourrie, nouroun a la nourin, lumière sur lumière, qui n’est ni d’Orient ni d’Occident, illuminant l’espace qu’il faut, pour laisser danser des ombres qui démultiplient ainsi la petite troupe en fantômes falots, errant dans la nuit, tels des zombis en quête de leur souffle exilé.

La petite troupe débouche brusquement sur la carcasse agonisante du Père des Pères.

  • Ô Père des Pères, salut de mort ! Salut de nuit ! lance l’Enchanteur qui dépose la petite Eléli.

..Ténèbres sur ténèbres..

Il fait de ses hardes un galetas passablement confortable où il couche lentement l’enfant endormie, la borde avec tendresse, comme une mère qui n’en est pas à sa première couvée.

- Le repos des bourgeons est la promesse de l’aube, hélas souvent, pseudo pseudo, parfois, rarement, s’ouvrant sur des jardins épanouis, comme une prière.

Mais Eléli s’agite brusquement, ses petits yeux papillotant sous les lueurs mordorées que lance la torche. L’Enchanteur hoche la tête d’un air entendu et sort la gargoulette ainsi qu’une écuelle de bois dans laquelle il verse quelques gouttes d’eau qu’Eléli boit d’un trait. Il recommence et ensuite sert Kanaan, avant de boire à son tour.

- Toi aussi tu as sommeil, dit-il à Kanaan, ne te crois pas plus malin que le Calao !

- Non Mulumba, je n’ai pas sommeil. Je veux savoir..

- Non, tu ne sauras rien ce soir. Avec des paupières lourdes, l’esprit ne fricotte qu’avec des pensées grossières. Rappelle-toi, la prunelle des yeux est le siège du muntu.

Là-dessus, il abandonne Kanaan qui finit par se laisser surprendre par un léger sommeil de lynx. L’Enchanteur se retourne, observe les deux enfants enroulés comme deux outardes. Il sourit, souffle sur le brandon et s’étend, les yeux ouverts sur le ciel étoilé.

(…)

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